"Un lien se crée entre élève et enseignant"

27 octobre 20230
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Tant de questions sur notre ‹‹être-au-monde››.
Tant de questions sur notre existence.
Tant de questions sur nos conditions existentielles.
Tant de questions sur notre condition humaine.

Un jour, après mon cours en classe de Terminale A sur ‹‹l’existence et la mort››, un de mes apprenants m’a posé cette question : ‹‹madame pourquoi j’existe et pourquoi je traverse cette souffrance atroce ?››. Je garde encore l’expression de son visage et les mots qui ont structuré cette question fondamentale. Puis, il soupira et il bassa sa tête. J’ai compris. Je devais l’amener à s’exprimer en argumentant sa pensée. ‹‹Tu sais que pour que ton interlocuteur saisisse ta pensée, tu dois la structurer, l’argumenter et démontrer. Tu le sais n’est-ce pas ?›› lui dis- je. ‹‹Oui madame››.

La sonnerie retentit, je commençais à ranger mes deux sacs lorsqu’il me dit très poliment : ‹‹madame, donnez- les moi je vous prie, je vais vous accompagner››.

Nous marchions côte-à-côte lorsque son attitude m’indiquait qu’il voulait se confier. Il fallait que je le laisse pousser sa pensée. C’est mon rôle. En effet, certains élèves recherchent l’assistance et l’accompagnement psychologique de leurs enseignants et ce jeune homme introverti voulait se confier, je l’ai décelé, je me devais d’être donc à son écoute. ‹‹Fiston, que veux-tu savoir et comprendre stp ?›› L’apprenant marque une pause et un arrêt dans la cour de l’établissement. Il baissa à nouveau sa tête. Il m’a suffi d’un seul regard pour comprendre que son cœur saignait et battait à tout rompre. Ses yeux étaient inondés de larmes qui glissaient le long de ses joues. L’émotion l’empêchait d’avancer.

Pause et arrêt.

Tout doucement, avec moi, il parvint à poser un pied l’un après l’autre tout tremblant. Il avançait lourdement. J’attendais. J’étais à son rythme. Parvenus en salle des professeurs, je lui ai demandé dans un ton rassurant, réconfortant de s’asseoir. ‹‹Ça ira fiston, ça ira››. Les larmes étaient plus denses et intenses. Il fallait attendre qu’il se calme. J’ai pris sa main en lui disant d’un ton maternel : ‹‹en toute chose, il y a toujours une solution››.

Au bout d’un temps d’accalmie, il est revenu sur la question initiale entre deux sanglots : ‹‹madame, pourquoi Dieu m’a t-il arraché ma mère ?››

Toujours en larmes, il ajouta en substance : ‹‹madame, c’est dur, c’est compliqué j’en peux plus. Elle me manque énormément››. Wahou ! J’étais sciée. Ces mots m’ont fendu le cœur. À mon tour, j’écrasais des larmes (en cachette). Quelle émotion ! Quelle douleur ! C’était au-delà du supportable. Je lui dis : ‹‹Fiston, il y a des choses qui ne dépendent absolument pas de nous. Nous sommes, nous existons et nous mourrons un jour donné. C’est notre destin. Toutefois, la vie nous donne des possibilités, des opportunités, des psychotropes qui, comme des coups de pouce, nous permettant de supporter notre existence parfois insipide, morose ou misérable. Il nous revient de donner sens et signification à notre être-au- monde. Et pour mieux le comprendre, tu as les textes que nous avons déjà abordé en classe avec pour auteurs Epicure, Heidegger, Sartre... En fait, tu dois pouvoir trouver des points d’appui, ces repères qui t’aideraient à te construire, à avoir de l’ascendance sur ces artefacts qui te hantent et amoindrissent ton regard sur la vie et l’existence...›› Bref.

Je continuais à le rassurer et à faire comprendre que nous pouvons donner des couleurs à notre existence, supporter ou accepter notre condition humaine, la mort et le départ des êtres chers partis pour l’Ailleurs. Re bref.

Jusqu’à ce jour, je suis en contact avec ce jeune homme devenu un beau jeune homme. J’ai continué mon accompagnement après l’obtention de son baccalauréat. Un bel homme et fier.

Il est une de mes belles réussites...

Je t’embrasse fiston.

Sandrine NGUÉMÉBÉ ENDAMANE

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