LE PROJET DE REVISION DE LA CONSTITUTION : AVANCEE OU RECUL DEMOCRATIQUE ?

21 décembre 20200
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Le projet de révision de la Constitution est-il une avancée ou un recul démocratique ? C’est la question que pose le Professeur Télesphore ONDO, enseignant à l’Université Omar BONGO. Question à laquelle ce juriste donne son point de vue.

La révision constitutionnelle est un phénomène important et inévitable dans la vie juridique et politique de l’Etat. Elle part d’un constat logique. La Constitution, parce qu’elle est la Loi fondamentale et fixe le statut organique de l’Etat, doit bénéficier d’une certaine permanence. Toutefois, cette durabilité nécessaire ne signifie nullement immutabilité. Il faut donc prévoir que, sans bouleverser son schéma général, la Constitution puisse être révisée

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Le projet de révision adopté par le Conseil des ministres le vendredi 18 décembre 2020 constitue la 8e révision la Constitution, la 3e fois sous le Président Ali BONGO, deux ans seulement après la dernière révision de 2018. Alors que la réforme de 2018 se structurait autour de 9 articles supprimés, 1 paragraphe modifié et 1 paragraphe nouveau du titre préliminaire, 3 articles nouveaux et 42 articles modifiés, le projet de révision de 2020 vise 26 articles de la Constitution, notamment les articles 4, 7, 10, 13, 13a, 14a, 14d, 28a, 34, 35, 36, 37, 38, 41, 48, 58a, 61, 62, 73, 78, 80, 83, 84, 85, 90 et 112. En termes du nombre d’articles susceptibles d’être révisés, il s’agit donc d’une révision moins importante que celle de 2018.

Au-delà de polémiques qu’il va certainement susciter, le projet de révision constitutionnelle intègre plusieurs solutions jurisprudentielles de la Cour constitutionnelle dans ses décisions récentes relatives à l’interprétation de certains articles de la Constitution et à la régulation du fonctionnement régulier des institutions et prend en compte certaines préoccupations institutionnelle et démocratique, en faisant évoluer les institutions constitutionnelles et en recherchant à consolider l’État de droit démocratique. Plus concrètement, le projet de révision constitutionnelle vise essentiellement à :

 combler le vide juridique lié à certains évènements majeurs qui ont impacté le fonctionnement régulier des Institutions et des pouvoirs publics en évitant ainsi à la Nation de s’exposer à l’éventualité d’une interruption de la continuité de l’Etat. Sur ce point, l’article 4 énonce le mode opératoire en cas de non organisation de l’élection dans les délais constitutionnels, alors que l’article 13 institue un collège composé des Présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale et du ministre de la Défense Nationale en cas de vacance de la présidence de la République ou d’empêchement définitif et en cas d’empêchement temporaire ;

 renforcer la protection des Membres du Parlement et de la Cour Constitutionnelle ainsi que de l’inviolabilité des sièges desdites Institutions. Sur ce point, les articles 7 et 38 révisés intègrent désormais la mise en danger de l’intégrité des Sièges des Institutions dans le champ des crimes de haute trahison punis par la loi ;

 définir à l’article 35 deux modes de désignation des sénateurs dont une partie restera élue au suffrage universel indirect et l’autre sera nommée par le Président de la République ;

 renforcer l’efficacité et les prérogatives du Parlement par l’institution, comme en France en 1995, d’une session unique par an, du premier jour ouvrable du mois d’octobre au dernier jour ouvrable du mois de juin (articles 41 et 48), soit neuf mois. Cette session unique, qui remplace ainsi le régime de deux sessions annuelles de trois mois qui prévalait depuis 1991, permettra de renforcer le poids des Assemblées parlementaires au sein des institutions en assurant ainsi de manière continue leurs missions de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques ;

 restituer à la Cour de cassation (article 73) sa compétence en matière commerciale notamment au regard du droit des affaires CEMAC, malencontreusement supprimée lors de la dernière révision constitutionnelle ;

 préciser à l’article 78 que la Haute Cour de Justice juge le Président de la République en cas de violation du Serment, de haute trahison pour les faits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, tout en renforçant la majorité qualifiée au sein du Parlement pour mettre en accusation le Président de la République qui passe ainsi de la majorité absolue à celle de deux tiers (2/3) des membres composant le Sénat et l’Assemblée nationale ;

 redonner à la Cour Constitutionnelle, à travers l’article 84 nouveau, la compétence exercée en matière de contrôle de conformité des actes règlementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques.

Malgré ces traits caractéristiques d’une certaine modernisation politique et institutionnelle, la réforme présente cependant quelques limites importantes :
 D’abord, il est à regretter que ce projet de réforme n’ait pas fait l’objet d’un débat national, sur des sujets aussi sensibles que la modification de l’autorité devant assurer l’intérim du président de la République en cas de vacance du pouvoir ou d’empêchement définitif ou temporaire ou encore la réforme du mode de désignation des sénateurs. En effet, selon une pratique désormais en cours depuis la proclamation de l’Etat d’urgence sanitaire, certains textes importants sont initiés par l’exécutif vers la fin de la session et adoptés sans véritable débat démocratique.

Le précédent est le code pénal. Visiblement, au Gabon, les processus constituant et législatif deviennent de plus en plus non inclusifs, non ouverts, non participatifs. Pourtant, la déclaration de Bamako de l’organisation internationale de la Francophonie, et la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance ainsi que la jurisprudence récente de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples recommandent vivement désormais que toute révision constitutionnelle fasse l’objet d’un consensus national pour prévenir les tensions, crises et conflits inutiles.

Il est également à regretter la non-consécration dans la Loi fondamentale du régime de catastrophe sanitaire qui, à notre avis, reste encore un objet constitutionnellement non identifié alors que ses effets sont identiques à ceux de l’Etat d’urgence.

 Ensuite, la (re) constitutionnalisation d’un collège pour assurer l’intérim du Président de la République en cas de vacance du pouvoir ou d’empêchement définitif ou pour le remplacer en cas d’empêchement temporaire comme sous le parti unique et l’exclusion du Vice-Président de la République et du Premier ministre dans ce collège au profit du ministre de la Défense Nationale suscitent interrogations et perplexité quant au respect de la tradition constitutionnelle gabonaise observée sous l’empire des Constitutions de 1960 et 1961 et à l’objectif recherché en pareille circonstance.

Par ailleurs, le renforcement de la majorité qualifiée au sein des Chambres du Parlement pour la mise en accusation du Président de la République aura pour effet de rendre cette hypothèse pratiquement difficile sinon impossible, au regard de la composition actuelle et future des Chambres du Parlement. Sur ce dernier point, l’institution de deux modes de désignation des sénateurs aura pour effet non seulement de maintenir un nombre important de sénateurs en ces temps de crise et de garantir ainsi au Chef de l’Etat et au Parti Démocratique Gabonais une majorité absolue et stable, mais aussi de fragiliser encore un peu plus la faible légitimité de la Chambre haute du Parlement, tout en renforçant le caractère inutile d’une Assemblée boudée par une partie importante de l’opinion.

 Enfin, le retour des actes réglementaires dans le champ de compétence de la Cour constitutionnelle aura pour effet non seulement de déposséder les juridictions administratives de leur domaine naturel de compétence, mais également de fragiliser davantage cet ordre de juridiction.

Par ailleurs, l’intégration de la mise en danger de l’intégrité des Sièges des Institutions dans le champ des crimes de haute trahison punis par la loi aura pour effet de semer la confusion dans l’esprit des citoyens dès lors que ce crime de haute trahison peut désormais être commis non seulement par le Chef de l’Etat, mais également par de simples citoyens. Or, en droit constitutionnel gabonais, ce crime, qui ne doit pas être confondu avec la trahison prévue à l’article 61 du Livre deuxième du Titre premier, chapitre premier du nouveau Code pénal, ne peut être commis que par le Président de la République.

Pour éviter cette confusion, les parlementaires devraient, par un amendement, supprimer cette disposition dans la Constitution et l’insérer dans le Code pénal, en proposant une modification de ce texte. Dans le même ordre d’idée, le caractère inutile de la Vice-Présidence de la République devient de plus en plus patent. Les parlementaires devraient également en tirer toutes les conséquences en supprimant simplement cette institution fantôme

Professeur Télesphore ONDO
Université Omar BONGO

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