GABON/Le regard d’un magistrat sur la décision de la Cour n 219/cc du 14 novembre 2018

19 novembre 20180
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La dernière décision de la Cour constitutionnelle gabonaise continue d’alimenter les débats.Les hommes politiques,société civile et les juristes prennent la parole pour dénoncer.Les analyses sont multiples et se font de la place,tant sur les réseaux sociaux que sur les médias privés.Ici,le point de vue d’une personne appartenant au corps judiciaire,un magistrat pour ne pas le nommer,réagissant à l’intervention de la Présidente de la Cour Constitutionnelle.

J’ai suivi avec une attention toute particulière, l’intervention, sur la chaîne de télévision Gabon 24, de Madame la Présidente de la Cour Constitutionnelle visant à justifier la décision de la Cour n 219/cc du 14 novembre 2018 relative à la requête du Premier Ministre tendant à l’interprétation des articles 13 et 16 de la Constitution.

Je voudrais déjà noter que sur le plan purement déontologique, le terrain d’expression d’un juge n’est pas le plateau des chaînes des télévisions et des radios. Malheureusement, la Présidente de la Cour Constitutionnelle de notre pays nous a habitué à ses sorties médiatiques dont on pourrait s’interroger sur l’intérêt. Un juge n’a pas à justifier sa décision devant les médias. C’est au cours de la rédaction de celle-ci que le juge justifie sa décision par une motivation soutenue. Lorsqu’un juge se trouve dans l’obligation de justifier sa décision devant les médias, cela donne l’impression qu’il n’est pas convaincu de sa motivation ou qu’il doute de la clarté de celle-ci.

Madame la Présidente de la Cour Constitutionnelle s’est défendue sur le grief qui est fait à cette haute juridiction d’avoir modifié la constitution, estimant que la Cour n’a joué que son rôle d’interprétation de la loi fondamentale. Cela est d’autant plus étonnant que l’interprétation d’une loi, au sens du Droit, consiste à rechercher la volonté du législateur, c’est-à-dire préciser l’esprit de ce texte lorsque la lettre n’est pas clairement exprimée.

Or, il arrive le plus souvent que dans certains cas, le législateur n’ait pas du tout exprimé sa volonté, même de manière implicite. C’est le cas de l’article 13 de la constitution sur la situation d’indisponibilité temporaire du Chef de l’Etat. Le législateur gabonais n’a pas du tout exprimé sa volonté sur cette question. Le juge Constitutionnel ne peut donc pas rechercher la volonté du législateur sur cette question, car cette volonté n’existe pas. Le travail d’interprétation du juge Constitutionnel devrait donc s’arrêter à constater que, dans le cadre de l’article 13 de la constitution, le législateur n’a pas exprimé de volonté quant aux situations de gestion du pouvoir présidentiel en cas d’indisponibilité temporaire et de conclure qu’il y a vide juridique.

Maintenant comment aurait procédé le juge Constitutionnel pour répondre à la préoccupation qui lui a été soumise par le gouvernement ?

En Droit, dans le silence de la loi, tout juge est appelé à faire œuvre de législation, en vertu de l’obligation qui lui est faite de rendre la justice sous peine de déni de justice. Le juge fait œuvre de législation, non pas en ajoutant ou retranchant des dispositions au texte qui présente un vide juridique, mais en prenant une décision qui aille dans l’intérêt d’une bonne justice, c’est-à-dire celle qui protège l’intérêt général.

La Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur du fonctionnement des constitutions et de l’activité des pouvoirs publics. C’est une compétence qui lui dévolue par la constitution. Le gouvernement a donc cogné à la bonne porte pour soumettre sa préoccupation de fonctionnement régulier des institutions et de la continuité de l’Etat en cas d’indisponibilité temporaire du chef de l’Etat.

Pour répondre à cette préoccupation, la Cour n’avait point besoin d’ajouter un alinéa à l’article 13 de la constitution. Il lui suffisait de noter que cet article comportait un vide juridique et que dans le silence la loi, tout juge est appelé à faire œuvre de législation. Sur cette base, elle prenait une décision qui allait dans le sens de l’intérêt général, c’est-à-dire autoriser le vice-président de la République à convoquer et à présider un conseil des ministres qui réglerait les Affaires de la Nation.

La Cour Constitutionnelle est donc manifestement sortie du champ de ses compétences en se lançant dans la réécriture de l’article 13 de la constitution. En l’état actuel de notre législation, aucun texte lui donne cette compétence.

Le plus grave est que la Cour a, non seulement fait illégalement un ajout à l’article 13 de la constitution, mais aussi s’est appuyée sur cette disposition illégale pour répondre de manière tout aussi illégale à la préoccupation du gouvernement.

Elle s’est donc volontairement mise dans une situation d’illégalité lorsqu’elle était dans tous ses droits pour répondre, tel qu’elle l’a fait, à la préoccupation du gouvernement.

Je pense que les délais qu’elle s’est donné pour rendre cette décision l’ont peut-être quelque peu conduite à une légère déconcentration. Le plus important aujourd’hui est que le conseil des ministres pour régler les affaires de la nation a été autorisé. Pour le reste, tout citoyen a le droit de saisir la Cour en rétraction de sa décision,en ce qu’elle a cru bon ajouter un alinéa à l’article 13 de la Constitution.

NB/AM

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